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Portrait de Benoît Blue Boy

mercredi 24 septembre 2008 par On The Road Country Music

Benoît Blue Boy

" Salut Christian. Je suis beaucoup moins gêné par ce deuxième texte. Il y a plus d’espace et je parle un peu des autres. Benoît "

Le portrait de Benoît Blue Boy, ébauché dans le n° 30 de Blues Magazine, s’affine ci-dessous.

Benoît Billot EST Benoît Blue Boy !

Harmoni-cats !

Aujourd’hui, ma chance… … je suis plus obligé de faire les bars. J’ai passé l’âge. C’est une bonne école, attention. C’est dans ces endroits-là que tu apprends à jouer et à contrôler les mecs. Au final, tu te rends compte que tu n’es qu’une attraction pour amuser les gars du comptoir, surtout quand tu ne chantes pas en français. Imagine que ton répertoire est en anglais. Tu termines ton set. Tu descends de scène. Pas de bol, tu as toujours un Anglais qui se pointe et qui a envie de causer. Toi, tu as joué à l’Américain pendant une demi-heure et tu parles pas un mot d’anglais… Eh ben mon pote, tu passes vraiment pour le dernier des crétins ! Le français, ça me permet d’être totalement libre. Qui va venir me balancer : Non, c’est pas comme ça qu’il faut chanter ? Les mecs qui chantent le blues en anglais doivent se mettre dans un état de schizophrénie ! Tu les vois qui picolent avant de monter sur les planches. Allez, laisse tomber. Bois plutôt un coup !

L’harmo, c’est naturel pour moi… … Je réfléchis jamais à la manière dont je vais jouer mes morceaux… N’importe comment, je les ai écrits, je suis sûr que je jouerai du Benoît Blue Boy. Je vais pas me lancer dans une imitation de Little Walter, même si Little Walter je connais par cœur. Surtout pas réfléchir. Je ne répète pas, je tiens à rester tout le temps en état d’urgence. Peu de chanteurs cherchent cette sensation. Si je répète l’harmo, je vais me mettre à faire des phrases. Pas question. On enregistre le morceau, je place l’harmo à ce moment-là. Je fais juste une prise d’essai. Si l’inspiration ne vient pas tout de suite, je fais semblant, je fais pouet-pouet juste pour remplir un blanc, signaler aux musiciens l’endroit où ça va se passer. Ensuite je fais un " re-re ". Sur le dernier album par exemple, pour des raisons techniques je n’ai pas pu garder tous les har-mos enregistrés au Texas. Je les ai refaits en France, juste avant de mixer. Une seule prise. Mets-moi le casque. Ça marche ? Ouais ? Envoie le morceau.

Du coup, les chansons ne se standardisent pas. Comme on ne les répète jamais, elles sont toujours en train d’évoluer sur scène. Si elles ne bougent plus, elles virent variété française. Et tous les soirs tu es obligé de jouer la même chose, le même chorus à tel endroit, le même nombre de couplets que la veille. J’entre en scène et j’annonce la couleur. Ce soir, on la joue lente et graisseuse.

J’ai appris à jouer l’harmonica en accords… … à souffler à droite, à gauche et au milieu en même temps. J’ai la langue au milieu qui fait le vibrato. Fa-fa-fa-fa-fa. F’est comme fi tu parlais comme fa. Je tiens quatre trous et je joue les accords si j’en ai envie. Je place des octaves dans les aigus (mais là, t’as pas les aigus tout seuls). Je peux me balader d’un bout à l’autre de l’harmo en me servant tout le temps des mêmes fréquences. Pour arriver à jouer comme ça, j’ai dû m’exercer pendant quelques mois. À la fin je pouvais même plus parler, ma langue avait doublé de volume. Elle est en permanence collée à l’harmo et, quand le bois gonfle, il monte facile de trois ou quatre millimètres. Ça veut dire que t’as la langue coupée en deux. Les vieux jouaient de cette manière, mais des mélodies, pas du blues. C’est un truc typiquement louisianais. Slim Harpo, tout un paquet de types, avaient l’accordéon cajun dans l’oreille et refusaient de jouer l’harmonica comme le faisaient les gars du nord. Ils voulaient qu’on entende le son de l’accordéon. James Cotton joue aussi avec la langue, mais rarement en accords et seulement d’un côté.

Les Chats Sauvages et les autres… … c’était des mecs qui s’habillaient. Tu matais les pochettes : Ouah, le pantalon ! Putain, la guitare ! Mais j’étais pas un blouson noir malgré l’époque. Là où j’habitais, on était plutôt blousons dorés. On partait pour l’école avec un pantalon à pli classique sur le jeans. Une fois dehors on virait ce pantalon, on exhibait les jeans et on sortait les bottes du cartable. Et puis les Stones déboulent. Jagger faisait une école d’art lui aussi. Les étudiants sont tou-jours mordus de ces machins branchés que le commun des mortels n’écoute pas. Les Stones voulaient surtout pas jouer de la variété anglaise, ce truc New Orleans qui branchait la géné-ration d’avant. Ils chantaient du blues. Moi, les standards qu’ils reprenaient, je les connaissais déjà sur le bout des doigts.

Pour composer les chansons… … j’ai le choix de faire Jimmy Reed ou Fats Domino (en triolets). Bon, j’ai déjà le texte. C’est pas difficile, quand je commence à le chanter ça démarre toujours comme un blues. C’est Jimmy Reed. Ensuite je développe à ma guise. Tu passes un quatrième accord et tu changes de blues. Mes systèmes d’écriture sont on ne peut plus simples même si ça peut te paraître compliqué à l’arrivée. Pour moi, une chanson de blues est forcément simple. Quelques paroles et trois accords. J’ai un ou deux accords de rab pour faire des passages… Les autres commencent à me connaître maintenant. Je leur joue un nouveau morceau. Eux : Ah ouais, d’accord, tu m’étonnes ! Je suis accordé bizarre, mais comme je leur sers toujours les mêmes accords… Tous les ans j’en trouve un nouveau, dis donc. Pourtant je n’ai aucune raison d’en changer !

Et puis la phrase que tu chantes doit être immédiatement intelligible. Des phrases comme Qu’est ce que t’en f’ras, dans la vie y’a pas qu’l’argent, tu les comprends tout de suite même si le fond de la chanson t’échappe. Les paroles constituent un autre élément rythmique. Pour réussir à faire swinguer cette musique, à jouer à l’intérieur du rythme et former l’unité, j’utilise autant que possible ma voix comme un instrument de musique. C’est ma façon de signer mon chant. Et comme j’écoute en permanence Lazzy Lester, Jimmy Reed, Fats Domino, ça laisse des traces. On a tous assimilé malgré nous le phrasé de Dylan ou de Jagger.

Moi, j’écris comme je parle… … En fait, j’écris pas vraiment à cause de la dyslexie. Je me chante le morceau avant de le transcrire et, quand je le transcris, je le fais en phonétique. J’ajoute pas un E si je prononce pas le E. (Je m’appelle pas Cabrel !) De même, je n’écris pas maintenant, mais mainant. J’y vais mainant ?. Tous mes textes sont à l’avenant. Quand t’écoutes Lazzy Lester chanter, tu peux être sûr qu’il parle comme ça dans la vie...

Mais je REFUSE de faire de la poésie française. Les trois quarts des textes que j’entends sont scolaires. Je déteste ça. Moi, c’est peut-être parce que j’ai foiré l’école, mais je peux pas m’empêcher de penser : Tiens ? eux, ils ont appris à faire de la poésie à l’école. Désolé, mais la chanson n’a rien à voir avec la poésie. C’est vraiment un art populaire et mineur. Il y a des exceptions, attention. Il y a Bashung et quelques allumés qui écrivent des trucs bien à part. Une chanson comme Qu’est-ce que t’en f’ras, c’est un jeu. J’ai la phrase en tête et, pour moi aussi, c’est qu’est-ce que t’en f’ras ? Un truc de dyslexique que je ne vais même pas chercher à t’expliquer. On m’a dit que c’était des chansons de gémeaux. Gémeaux, tu sais ? Doubles.

La feuille blanche ne m’angoisse pas, je n’écris pas (sauf à la fin). Comme ça c’est réglé. Au début je chante n’importe quoi en m’accompagnant à la guitare. Quand je débite au hasard une phrase qui me plaît, je la note. C’est à dire que je prends un cahier et j’écris la phrase comme un titre, en haut d’une page. Un titre, deux titres, trois titres, etc. jusqu’à quinze titres. Me voilà avec quinze pages blanches et quinze titres. Bon, maintenant faut meubler. J’ai pas les textes mais j’ai déjà les titres ! J’ai, comme ça, des petits cahiers pleins de phrases. Quand je suis sur un album, je sors un de ces cahiers. J’ai un mois devant moi, des bouts de trucs partout et deux chansons terminées dans un coin.

Profession d’ignorance

Goldwasser Les musiciens français qui jouent de la musique roots et qui ont pu s’acclimater aux États-Unis, tu les comptes sur les doigts d’une main. Franck Goldwasser en fait partie. Il s’est installé là-bas vers la fin des années 70, au moment où j’en revenais. En général, quand tu es français, les États-Unis sont pas faits pour toi. Et compte tenu des relations qu’on entretient avec eux en ce moment, je te parie que ça s’est pas arrangé ! Franck est un grand spécialiste du blues et un guitariste de folie. Il s’est produit pendant dix ans dans LE club de blues de San Francisco. Avec son orchestre, il a accompagné un paquet de vedettes de passage en ville. Merde, c’est pas rien ! Comme je te disais, la vie américaine m’a très vite gonflé. Je préfère encore rentrer chez moi et jouer dans les bars. Sur la fin, je me branchais plus volontiers avec les Mexicains. Mais Franck, lui, est parti là-bas pour réussir à jouer du blues… et être Black ! Il s’est juré qu’il apprendrait à jouer comme eux, à penser comme eux, à parler comme eux, et il y est parvenu. Et il sait faire. Et je préfère cent fois écouter jouer Franck plutôt que Kid Ramos. Franck est revenu des États-Unis avec une certitude que je lui ai piquée et dont je me sers toujours : LE BLUES EST UNE MUSIQUE D’IGNORANT. Il a raison.

Si tu sais jouer de la guitare, t’es perdu pour le blues… … Tu sauras jouer de la guitare, c’est bien, mais tu sauras pas jouer du blues. Franck est à fond dans ce trip. Nan ! je ne sais pas jouer. Un vrai bluesman chante son morceau et case ses plans persos. Le type est un ignorant qui ne sait faire qu’une chose : jouer son truc. Si t’écoutes bien Jimmy Reed, You Don’t Have To Go, tu repères en permanence des mesures qui traînent un peu partout, tu te rends compte que rien n’est en place. Une logique de crétin ! La sortie de chorus dans The Things I Used To Do (Guitar Slim), si tu comptes les mesures, tu comprends même pas ce qui se passe. Impossible à refaire. Albert King a utilisé le même chorus toute sa vie. Sur scène il abat quinze titres, plan-plan, mais tu peux être sûr que pendant un chorus, tu vas être témoin d’un moment magique. Il va te sécher. Pourtant c’est presque le même chorus que tout à l’heure… avec un petit truc en plus, je sais pas, une tension. Il fallait qu’il accède à un état spécial pour en arriver là. Qu’il fasse chier tout le monde. Qu’il s’engueule avec le mec de la sono. Mais une fois qu’il s’était chargé de colère… Comme Muddy, il fallait qu’il entre en transe. À partir de là, son chorus n’avait plus rien à voir avec de la guitare. Non, c’était autre chose.

Buddy Guy, pareil. Il s’ennuie à jouer devant un public de Blancs. C’est pas forcément son public. Il est capable de plein de choses avec une guitare, jouer rapide, tout ça, mais il n’a pas inventé une manière spéciale de jouer. Buddy Guy, c’est pas Albert King. Bref, il passe la soirée à montrer aux Blancs qu’il peut jouer comme Hendrix ou Stevie… Le public américain pousse à ce genre d’attitude. Buddy Guy donne la démonstration de guitare qu’on attend de lui, et il prouve au public américain qu’il est capable de jouer Stevie Ray Vaughan. Tout le concert va ronronner comme ça… sauf pendant cinq minutes de transe où il t’emmène ailleurs. Et loin ! Mais ça ne dure jamais très longtemps, hélas ! N’importe comment, tu peux pas te mettre dans un état pareil pendant des heures.

Eh bien si tu répètes, tu bloques le passage qui t’amène vers cet état. Quand je vois tous ces musiciens qui répètent et qui répètent, je dis rien les mecs, mais je sais bien que vous y arrive-rez pas. C’est comme apprendre la plomberie. C’est comme si tu te contentais d’aller à l’école. Ça va, Stevie Ray Vaughan est mort depuis quinze ans ! Tu sais jouer de la guitare ? Ben, joue autre chose. Tu veux jouer du blues ? Oublie tout et trouve ton propre système.

Réapprendre à ne pas savoir jouer Le problème avec le blues c’est qu’il faut comprendre comment les autres le jouent, puis il faut se dépêcher de tout oublier. T’es sur scène et d’un coup tu te surprends à faire des citations. Merde, je peux pas continuer comme ça à imiter Sonny Boy ou George Smith ou Little Walter. Ou alors tu deviens démonstrateur. Tu leur fais une démonstration. J’ai pas besoin de prouver aux gens que je sais jouer Juke ! N’empêche, tu passes des mois à essayer de com-prendre comment il le joue, Juke, et quand tu l’as bien dans la bouche, tu te fatigues à l’oublier… en essayant quand même de garder le petit bout de phrase qui t’intéresse. Quand je commence à placer des phrases par habitude, malgré moi… Danger ! Pour éviter ça, j’ai tendance à jouer de moins en moins souvent, et de plus en plus lentement. Quand j’ai recommencé à jouer avec Stan, Fabrice et les autres, je me tapais huit heures d’harmo tous les matins… pour réapprendre à ne pas savoir jouer ! Il m’a bien fallu deux ou trois mois pour désapprendre. J’avais pris de mauvaises habitudes à tourner en trio… il fallait remplir, tu comprends ?

Les clowns Non, pas un Américain n’a encore requis mes services. D’abord, il n’y a pas beaucoup d’Américains en France. Pendant les tournées, ouais, tu en rencontres. Mais… Bah ! les Américains, ça va, je les connais : Super ! Ouah, t’es l’harmo le plus fort du monde ! Ouah, on va faire un disque ensemble ! Ils sont pas tous comme ça, hein, mais la plupart des Américains qui habitent en France sont des clowns.Pas un seul de bon dans le lot. Si le mec est bon, il reste pas ici. Donne-moi le nom d’un Américain qui habite en Europe et qui sait jouer. Donne m’en un ! Louisiana Red ? Mouais. Mais Louisiana joue seul, c’est pas pareil. Tu peux pas jouer avec lui. Et puis Louisiana, c’est pas non plus Buddy Guy. Big Bill Broonzy est passé par ici, c’est vrai. Memphis Slim et Luther ont vécu en France. Mais les autres ! Des fois j’en vois un. Tiens, t’es encore là toi ? Un bon musicien de jazz qui vient six mois pour apprendre l’harmonie, je comprends, mais un Américain qui traîne ses guêtres par ici pour jouer dans un groupe de blues… C’est sûr qu’ils seront mieux payés et mieux traités ici. C’est plus facile de jouer au Méridien que dans un bar à Austin ou à Dallas. Les mecs qui débarquent avec le chapeau, les plumes et tout le tralala, ils font les clowns ! Quand je vois un super musicien américain débarquer, Bill Thomas, là ouais, bien sûr. Je comprends qu’il soit ici, Bill. Il sait chanter, il sait tenir une guitare. Ou UP Wilson.

Petites astuces Pour reprendre l’expression de Franck, le blues a toujours été une musique d’ignorant. Et souvent sans moyens. Il faut toujours imaginer des petits systèmes pour compenser. Par exemple, comment enregistrer une batterie alors que t’as pas la place pour le faire ? En Louisiane, quand tu visites les studios par lesquels Fats Domino est passé, tu tombes à la renverse ! Un seul micro pour capter la voix et, comme on entendait mal le piano, Fats devait taper comme un barge dans les aigus pour sortir quelque chose ! Le studio était tellement mi-nuscule que, pendant les enregistrements, les saxes devaient s’approcher du micro, lâcher leur partie puis reculer. Pendant les sessions de mon dernier album, l’Oncle me racontait comment se déroulaient les enregistrements avec Johnny Winter, à Port Arthur. Pas de casques, pas de balance. Unk John mesurait le studio, regardait sa batterie. D’accord. Je tape plus fort la caisse claire, plus dou-cement cette cymbale. Il devait anticiper sans arrêt et refaire le point pendant la séance. Il fal-lait piger vite et c’était chaud : ils n’avaient même pas le loisir de remixer.

Derrière Jimmy Reed, tu ne perçois qu’une énorme caisse claire. Le micro pendait juste au-dessus. Son batteur ne jouait jamais fort sur la charlé. Dans le temps les bluesmen utilisaient des valises parce que les studios étaient exigus et qu’ils ne pouvaient pas y introduire de batte-rie. C’était : comment faire sonner la caisse claire avec une simple valise. Ils frottaient des papiers journaux et ça donnait le beat. Plein de petites astuces comme ça. S’ils parvenaient à caser une batterie, elle prenait toutes les fréquences de son. À Memphis, ils devaient scotcher leur portefeuille sur la caisse claire et taper à côté. Ça faisait Pchoc ! comme ça. Elles ont toujours été très spéciales, les caisses claires à Memphis, toujours assourdies pour éviter de capter les fréquences hautes. Un jour j’ai vu Sugar Blue se produire à New York. Son batteur maniait les balais. En guise de batterie, il tapait sur une de ces grosses bobines de film en ferraille. Vide, bien sûr. Il avait posé un petit micro à l’intérieur. Il l’avait branché dans un tout petit ampli. Avec les balais, ça sonnait vraiment super.

Il faut bien quelqu’un devant…

Pas d’embrouilles avec les 2 % de Machin Je considère toujours les musiciens qui m’accompagnent comme une entité parallèle. J’ai toujours eu des groupes capables de monter sur scène et d’abattre six morceaux sans moi. Les Tortilleurs, ils peuvent se produire sous leur nom. C’est Wolfson qui m’avait recommandé de sortir le premier album sous mon nom, de me détacher du groupe. Ne commets l’erreur que font la plupart des groupes, en particulier les Français. Les groupes finissent par se désagréger. Il y a toujours des conflits internes et, à un moment, des avocats qui entrent dans la danse. Les musiciens eux-mêmes préfèrent cette formule. Ils savent qu’ils seront payés tant, ils sa-vent aussi que j’ai du respect à revendre pour eux. Un contrat est un contrat, pas d’embrouilles avec les 2 % de Machin. Mais je suis pas un leader tyrannique, je te le jure. Pourvu qu’on joue ensemble, mes musiciens je leur laisse du champ. Bon, il faut bien quel-qu’un devant et c’est moi qui chante…

Verbeke Verbeke, on s’est rencontrés en 66 ou 67. Il faisait partie d’un groupe de blues, L’Indescriptible Chaos Rampant ! C’est un certain Alan Jack qui nous avait mis en contact. Jack tournait dans les festivals avec des groupes anglais. Ça marchait pas mal pour lui mais il avait envie de renouveler son orchestre. Il est venu nous chercher, Patrick et moi. Patrick ne tournait pas avec le groupe, mais il était avec nous dans le studio quand j’ai commencé à enregistrer. Ceci dit, en dehors du groupe, j’ai fait beaucoup de scènes avec lui. Il nous arrive encore de nous produire à deux. C’est vraiment mon pote. Si on se présente de-main matin devant un taulier, si on lui dit : On tourne en duo maintenant, du taf, tu peux être sûr qu’il va nous en filer, le taulier. Je te promets qu’il dira pas non.

Benoît Blue Boy, Vogue 1979

BBB : chant, harmonica et bottleneck Didier Dupont : guitare Jean-Jacques Guerbé : basse Mitch : batterie Patrick Verbeke : guitare, mandoline et dobro Paul Cooper : guitare Alain Pewzner : guitare Robbie Finkel : piano

45-tours : Descendre au café / Angéla - Vogue 1979

Je suis en quelque sorte celui qui a ouvert le chemin. En 1979 le blues en français, ÇA N’EX-IS-TAIT PAS. Des mecs enregistraient bien un blues ici ou là de temps en temps, mais douze chansons de vrai blues en français, jamais. Blue wave ? Jamais entendu parler. Un coup de marketing sûrement. En tout cas je suis devenu une sorte de référence pour des groupes comme Bo Weavil et Doo the Doo… Ils ont beau chanter en anglais, j’ai beaucoup de respect pour eux, ils le savent. Je me déplace toujours pour aller les voir. Le blues de Laker et Le blues au bout d’mon lit ont été enregistrés 100 % live. Le groupe a découvert les chansons en studio. Eux : Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Moi : Un blues. Eux : Sans blague ! On les joue toujours sur scène, elles sont devenues des chansons fétiches.

Wolfson m’avait indiqué le nom de ce directeur artistique, un type adorable. Il était là pour régler tout un tas de problèmes périphériques. C’est lui qui a eu l’idée de confier la réalisation de la pochette à Mondino. Mondino ne prenait pas des fortunes à l’époque, mais Vogue ne voulait pas en entendre parler. Alors c’est Wolfson qui a payé. Mondino réalisait sa première pochette. Par la suite, il en a fait toute une série. Toujours la même idée : il les concevait, face et dos, comme une BD. Tout le monde en lisait en ce temps-là. Un peu comme ces albums Casterman dont les couvertures se dépliaient. Celle-ci, c’était l’histoire de deux motards qui me font passer un alcootest, l’alcootest enfle et devient un énorme ballon.

La maladie de Rock & Folk Un producteur ? Tu veux savoir ce c’est qu’un producteur pour moi ? C’est celui qui apporte le blé et c’est tout. La maison de disques produit. Le réalisateur par contre donne une couleur à l’album, mais j’en ai jamais eu besoin. Du reste, personne en France n’est capable de réali-ser un album de blues, même aujourd’hui. Ou alors il te faut traverser la Manche et recruter du côté du pub-rock. Dave Edmunds, Nick Lowe savent faire sonner un blues, prendre les réverbes, te trouver une guitare pertinente. Mais le producteur, pour moi, c’est uniquement celui qui apporte le blé.

Les trois quarts des groupes français ont la maladie de Rock & Folk. Ils ont peur. Les groupes de province lisent les journaux parisiens et se sentent obligés d’avoir un producteur pour s’occuper de leur disque. Nan, le producteur c’est toi ! C’est ton nom sur la pochette. Si ton disque foire, c’est de ta faute à toi. Si c’était pas ton choix et qu’en plus tu te retrouves dans la panade, t’as vraiment l’air d’un con ! Tu voulais faire du blues rural, on t’a obligé à sortir un disque métal et te voilà en train de jouer du blues rural dans les festivals de bikers ! Philippe Ménard, je le connais et il sait que je l’aime bien… Mais s’il avait fait ce qu’il fallait, Tequila existerait encore aujourd’hui. J’étais une exception en 79 mais tout le monde s’y est mis petit à petit. Maintenant, il n’y a plus vraiment de producteurs dans les maisons de disques. Pour du blues en tout cas.

Original, Vogue 1980

BBB : chant, harmonica et guitare Didier Dupont : guitare Jean-Jacques Guerbé : basse Mitch : batterie Patrick Verbeke : guitare Robbie Finkel : piano

45-tours : Les p’tits boogies / Tu parles trop - Vogue 1980

45-tours : Catheline / Le blues du vendeur de blues - Vogue 1981

Sur ce nouvel album, tu retrouves les musiciens du premier. La différence avec l’album pré-cédent, c’est qu’ici je n’avais aucune chanson de prête. Je les ai écrites dans l’urgence... et je me suis rendu compte que c’était faisable : je pouvais pondre un album par an si je voulais. Original a été enregistré comme le précédent, aux studios Vogue de Villetaneuse et toujours très live. On l’a réalisé dans la foulée du premier, mais avec un petit poil d’expérience en plus. J’ai toujours été obnubilé par la Louisiane. Dans la liste des nouveaux morceaux, il y avait Louisiana, Dodo-Lolo… Personne connaissait le rock’n’roll cajun ni le zydeco. Ces genres-là n’ont jamais pris en France. Zac (Zachary Richard) devrait être une star ici. La seule chanson qu’on connaît de lui, c’est Travailler C’est Trop Dur… et encore, parce qu’un chanteur de variété l’a popularisée. Clifton Chenier, lui aussi, s’est vite aperçu qu’il n’avait pas de clien-tèle en France, alors qu’il assurait 250 gigs par an au Texas, et parfois même deux par jour.

Plaisir Simple, Gaumont 1982

BBB : chant, harmonica et guitare Willie Eckert : guitare Fred Dormoy : basse Charlie Malnuit : batterie Robbie Finkel : piano et orgue Gilbert Dall’Anese : saxophone Yvonne, Carol et Arianne : chœurs

45-tours : Le doux / Encore un p’tit effort - Gaumont 1982

45-tours : Dans la vie y’a pas qu’l’argent / Côté Sud - Gaumont 1982

Là encore, la réalisation c’était moi. Chez Gaumont ils ont bien essayé de m’envoyer quel-qu’un. Maxim Smith je crois, celui qui avait produit Chat bleu de Willie Deville. Avec ce disque, j’ai réussi à prouver que Tu peux cogner est une vieille chanson française. J’ai dû aller dénicher de vieux enregistrements cajuns de 1920 et je l’ai fait passer dans le domaine public. On me soutenait que je l’avais piquée à Little Richard. En France, elle était déposée sous son nom. Eh bien, elle est publique aujourd’hui… avec Benoît Blue Boy pour les paroles !

Sur cet album on trouve encore quelques chansons que j’ai réenregistrées plus tard, sur l’album Couvert de bleus : J’vais appeler mon boulot ou Dans la vie, y a pas qu’l’argent. Comme à l’époque de Couvert de bleus on trouvait plus mes premiers disques, j’ai préféré réenregistrer certains morceaux plutôt que de les voir reparaître en CD. J’ai rien contre les compacts mais je n’avais aucune envie d’aller récupérer les bandes, de les remixer, de modi-fier le son. Elle était super la pochette de Mondino en format vinyle, et ça me branchait pas du tout de la voir miniaturisée dans un bout de plastique de quatre centimètres sur quatre. À part ça, un contrôle total sur mes disques et sur mes pochettes ? Oui et non. C’est un peu selon l’humeur du moment.

La pochette des Nighthawks n’a rien à voir avec ce qu’on voulait faire. Dans notre idée, c’était un peu celle-ci, mais fourmillant de petits machins dans tous les coins. Avec celle-ci, déjà, les couleurs bougent quand tu la secoues un peu. Chez Gaumont, ils étaient très embêtés. Impossible de placer la pochette en illustration sur des pubs ou pour une chronique de dis-ques : dès que tu mettais un flash dessus, les couleurs devenaient folles. Inphotographiable. Ça les a effrayé et ils l’ont nettoyée. Gaumont a donc sorti deux 45-tours à la suite. Les punks avaient remis le 45-tours à la mode, et c’était la grande époque des belles pochettes. Aujourd’hui j’ai plus beaucoup d’exigences pour les pochettes. C’était bien du temps du vinyle à cause du format. Tu pouvais te fendre la gueule. Avec les livrets de CD, tout le monde s’est mis à reproduire ce qui se faisait avant, mais tout petit bien sûr. Carrément ridicule ! Ça s’est quand même amélioré, on recommence à sortir des pochettes un peu bandantes. Maintenant tu vois arriver la pochette. Mouais, c’est pas mal. Avant, tu la voyais arriver : Ouah !!!!

Après la mort de Willie, Charlie Malnuit a bossé pour une maison de disques et Fred Dormoy s’est spécialisé dans la vente de disques par correspondance. Il est devenu l’un des plus gros vendeurs de la région.

Week-end à Nice (compilation de groupes niçois), Black’n’White Music 1983

Tortillage, Madrigal 1986

BBB : chant, harmonica et guitare Willie Eckert : guitare et dobro Fred Dormoy : basse Charlie Malnuit : batterie et percussions Zachary Richard : accordéon cajun Manuel Calvin : guitare Patrick Verbeke : guitare Guillaume Petite : claviers Margo Dirty Ducks : chœurs

Benoît Blue Boy et les Tortilleurs, MO 1988

BBB : chant et harmonica François Bodin : guitare et vocaux Philippe Floris : tambours et vocaux

Ne crois pas que j’essayais de m’ouvrir à un public plus rock’n’roll. Si ç’avait été le cas, j’aurais procédé autrement avec ce disque. Quand même, cet album, dommage qu’on l’ait fait trop tôt, trop vite et pas mûr. La pochette, c’est un pote espagnol qui l’a réalisée. Antonio Ro-sès, le même qui fera celle de Plus tard dans la soirée. Je la voulais comme ça, fantomatique. On dirait la pochette d’un premier disque.

Comment ça, y avait pas de basse chez les Cramps ? Hé ! mais il y avait deux guitares. L’une d’elle était forcément réglée dans les basses. Si t’écoutes les vieux enregistrements de blues, t’as pas de basse non plus mais t’as deux guitares. N’importe comment, la contrebasse de Willie Dixon, tu peux monter le volume des basses à fond sur ta chaîne, on l’entend jamais sur les disques de Muddy Waters. Les cordes font percussion contre le manche parce qu’il bastonnait comme un dingue, mais les basses proprement dites… À la limite, quand j’entends une chanson de Little Walter soutenue par Willie Dixon, ça me fatigue. Little Walter se dé-plaçait à travers les États-Unis avec Fred Below et les deux frères Myers. Deux guitares. Il s’emmerdait pas avec une contrebasse.

Parlez-vous français, Frémeaux / La Lichère 1990

BBB : chant, harmonica et guitare François Bodin : guitare Philippe Floris : batterie et percussions John Greaves : basse Geraint Watkins : accordéon, piano, orgue et chœurs Bill Thomas : guitare Claude Langlois : steel guitar Jacques Mercier : chœurs

Chez La Lichère, on est très bien secondé. On a Pat Chevalot, l’ingénieur du son avec qui j’ai enregistré plusieurs albums. Ensemble, on a d’abord produit le disque des Stocks (ce groupe qui fait du ZZ Top en français). Je me suis toujours super bien entendu avec Pat. Après La Lichère, même les disques qu’on ne pouvait pas produire à deux, on s’est arrangé pour les mixer ensemble. Celui de Steve Verbeke par exemple. Plus tard j’ai recommandé à Pat les Doo The Doo. Mais c’est toujours pareil, au bout d’un moment tu dois te renouveler et tu es obligé de changer d’ingénieur.

Denis Leblond, lui, avait été engagé par La Lichère pour s’occuper des groupes. Je l’ai pris comme manager. Il aime ce qu’on fait et j’ai une confiance aveugle en lui. Je sais que tout sera organisé au millipoil. Qu’il s’agisse de grosses sommes ou de petites sommes, tu peux faire confiance à personne dans ce milieu. Chaque album est assorti d’un contrat. Denis m’aide à gérer mes affaires. Si j’ai le moindre doute sur quelque chose, je l’appelle. De toute façon, le problème aura été réglé avant même que je l’appelle ! Quand tu déniches une perle comme Denis, tu t’en sépares pour rien au monde. Il a dû s’arrêter pour raisons familiales. Quand il a fallu rechanger de manager il y a deux ans, je suis retourné le voir.

Parlez-vous français sera disque d’or. Le blues avait retrouvé une audience. Louisiana est la nouvelle version d’une chanson gravée sur le deuxième album (Original). Elle sonnait un peu comme Mojo Working. Cette version est plus rapide, c’est de cette ma-nière qu’on la reprenait en trio. Pour les paroles, faut pas chercher midi à quatorze heures et vouloir déceler des idées que j’ai pas voulu mettre, genre Chinatown, tu vois ? Il n’en reste pas moins vrai que, pour la nouvelle génération de bluesmen français, Louisiana est un peu mythique . C’est parce qu’ils n’y sont pas allés je suppose. En tout cas de nombreux groupes la reprennent.

L’harmo est l’instrument le mieux défini du disque ? Peut-être, oui. Au mixage, tu fais des choix presque inconscients. S’il n’y a pas l’harmo qui monte en régime de temps en temps, il n’y a plus d’hameçon non plus. Plus rien pour attraper l’oreille des gens. Ça ronronne. D’un coup t’entends l’harmo… Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ?

Le Tortillage compilation, New Rose 1991

Plus tard dans la soirée, Frémeaux / La Lichère 1992

BBB : chant et harmonica François Bodin : guitare Philippe Floris : batterie et percussions Jean-Marc Despeignes : basse

L’époque était donc de nouveau propice au blues, et ça y allait ! Le Winston Legends Festival avec Buddy Guy et BB King, la tournée des plages Marlboro avec les Fabulous Thunder-birds... Le boulevard qui figure sur le livret doit être la rue de Rivoli. Par rapport aux graffitis tex-mex du précédent, on voit tout de suite que je suis revenu. Oui, c’est bien la rue de rivoli. Et l’espèce de totem que tu vois traîner partout, c’est un ancien fourneau. Enfin, le haut d’un fourneau. Énorme. De la fonte. Il venait d’un atelier du XXe. Despeignes, mon nouveau bassiste, était beaucoup plus jeune que moi. Un super bassiste de RnB. Ah oui, un pote à nous est venu jouer du frottoir et siffler. Le frottoir, c’est le washboard en cajun.

L’album contient quelques chansons bien morbides. Noël toute l’année, avec l’intro de Jingle Bells. Deux ans plus tard, on tourne au Canada. Bodin n’est plus là, on a déjà Stan. On fait une télé et je dois choisir un morceau. Je vais faire celui-ci, Noël toute l’année. Bien vu : on était le 4 juillet… il faisait une chaleur à crever ! C’est l’orchestre de la télé qui m’accompagne, des monstres du jazz-rock. Eh ben, le mec n’arrivait pas jouer l’intro. Deng-deng-deng, Deng-deng-deng… Jingles Bells ! Mort de rire. Et à chaque passage, il se plantait. Le blocage. Ça arrive à tout le monde, hein. Laisse tomber, tu n’y arriveras plus de toute fa-çon. Autant, le lendemain, il te l’aurait sorti comme un rien.

La chanson Jacques a dit, c’était une dédicace pour Jacques de l’Utopia. J’ai fréquenté ce club pendant des années avec Patrick. On l’a quasiment ouvert, on y a joué presque tous les soirs pendant un an. Les voisins se plaignaient du bruit, comme c’est le cas de tous les bars à Paris. Quand ils ont décidé d’entendre quelque chose, les voisins, ils ont toujours l’ouïe fine. Les flics débarquaient et voilà. C’est une chanson pour rigoler. Je voulais qu’elle rende l’ambiance d’un bœuf. Ce que tu pouvais entendre à l’Utopia quand il y avait du raffût, que tout le monde gueulait et chantait en chœur.

Quant à la chanson qui a servi de thème au dernier film des Charlots, c’est Toujours du rock’n’roll. La question, c’était pas les Charlots ou pas les Charlots, tu t’en doutes… Si c’étaient des salopards qui emmerdent le monde, non… Mais des types qui se sont fait escro-quer toute leur vie ! Sarus et Fil m’ont contacté. T’aurais une chanson à nous filer pour un film ? Si, justement, je suis en train d’en sortir une. Fais écouter. Ouah, exactement ce qu’on cherche ! Je les con-nais très bien, les Charlots, on est potes. Des allumés de RnB. Les Problèmes était un formi-dable groupe de rock’n’roll à leurs débuts. Je sais même pas s’ils s’appelaient déjà Les Pro-blèmes avant d’accompagner Antoine. D’ailleurs Antoine les a pris parce qu’ils formaient le meilleur groupe français du moment. Bon, après ils ont préféré gagner du pognon en donnant dans la parodie. N’empêche, un grand bassiste, un grand guitariste, un grand batteur, un grand chanteur… et la plus mauvaise guitare rythmique que j’ai pu entendre ! Bah, le talent de Luis (Rego) c’est d’être un mec super…

Couvert de bleus, AB Disques 1994

BBB : chant, harmonica, guitare et slide Stan Noubard Pacha : guitare Fabrice Millerioux : batterie et percussions Adam Wolfaardt : basse et contrebasse Geraint Watkins : piano et accordéon Franck Goldwasser : guitare Claude Langlois : steel guitar Cajoune Pig Mama Girard : frottoir

J’habitais toujours cette petite maison du côté du marché d’Aligre. Je ne bougeais plus beau-coup. J’ai vécu là jusqu’à ce que je parte en Inde, l’année dernière. J’avais déjà recruté Fa-brice Millerioux le batteur, et Stan Noubard Pacha le guitariste. J’avais monté un répertoire hyper traditionnel et je voulais une contrebasse. Pour tourner au Canada j’ai pris Stef, un mec de Tours que je connaissais et qui jouait avec Alan Jack. Pour le disque, j’ai fait appel à Adam (Wolfaardt). Son père vit ici, mais c’est une famille boer du Cap. Des Blancs sud-africains, quoi. Je cherchais un mec sur Paris et j’ai déniché Adam, super bon mais pas très branché blues. Il a fait le disque et, passés deux ans, il est retourné au Cap chez sa mère.

On avait un gig à faire au Havre avant de partir pour le Canada. À la dernière minute j’ai eu un doute, et j’ai voulu m’assurer que Stan et Fabrice avaient bien l’étoffe que je devinais en eux. Le matin je les appelle. Pour Le Havre, on fait le gig à trois, sans la contrebasse. Le gig, ils l’ont abattu les doigts dans le nez ! Trois jours après on partait pour le festival de jazz de Montréal. La foule ! Stan avait jamais fait un truc pareil. Le jour de notre arrivée, on passe à la télé comme je te l’ai raconté tout à l’heure. Sur scène je portais un super costume, bleu d’un côté, rouge de l’autre, la chemise blanche au milieu… et on attaquait avec Parlez-vous français. Barges ! Ça se passait un peu avant qu’on enregistre Couvert de bleus. Pour être franc, j’ai mouliné un moment avant de retrouver un jeu vraiment blues. Des potes venaient nous enten-dre. C’est quoi ce que tu nous fais maintenant ? On dirait un orchestre de bal. Je répondais : Ouais. Il va plus rien se passer là. Ça sonnera plus comme avant. Les gens s’étonnaient que je veuille repartir en ternaire.

La pochette est toute bleue… … et on a du mal à déchiffrer les indications. Ils ont mis des harmos partout. T’as peut-être raison : AB prod était un label pas très affranchi sur le chapitre du blues, et ils ont fléché un peu le parcours. En principe la jaquette devait être beaucoup plus épaisse. Je voulais un bout de carton, papier mat. Trop cher. Enfin, bon.

Descendre au café, P’tit nuage, Dans la vie y a pas qu’l’argent, Le blues au bout d’mon lit… J’ai l’habitude de les chanter sur scène, ces titres. C’est peut-être pour ça que tu trouves le chant du Blues au bout d’mon lit un peu précieux. Avec ses falsetto, Le blues au bout d’mon lit sonne comme un blues rural électrifié. Ce sont des astuces que j’ai attrapées sur scène. Je sais qu’il faut le chanter en français ; en même temps je me demande : Tiens, il aurait fait comment Robert Johnson ou Lazzy Lester pour chanter ça ? La boum à Véro grouille de personnages qu’on a connus, de petites aventures qui nous sont arrivées. Plein de gars se sont reconnus dans cette chanson. Le p’tit nuage, c’est sûr qu’Eddy Mitchell a exploité ce répertoire pendant des années. On doit écouter les mêmes disques. Je me rappelle plus pourquoi je l’ai écrite cette chanson. Y a quelqu’un qui a parlé. J’aime beaucoup celle-là. C’est inspiré directement de Clifton Chénier et de l’ancien zydeco. Ça me rappelle la Louisiane et les années 70, ces mecs qui chantaient le blues en français. Typique. C’est vraiment une de mes chansons préférées, moi-tié ballade, moitié Fats Domino, avec l’accordéon qui traîne par derrière…

La guitare, je refuse d’en jouer sur scène. L’image du guitar hero rock’n’roll me débecte. Ou alors, éventuellement pour donner le tempo. Mais tu te fais chier avec ta guitare, ça te décon-centre. L’harmo, ça va. Je m’en fous, je sais que j’arriverai toujours à le faire sonner. Si l’ampli déconne, je joue dans la sono. L’harmo, ça change rien, je réfléchis même pas à la tonalité dans laquelle on joue. Je me demande même pas si je suis en train de le prendre dans le bon sens ! Je me suis entraîné à prendre n’importe quel harmo et à jouer dans la tonalité qui me passait par la tête. Le Marine Band, je peux le prendre en première position, en 2e, en 3e, en 4e. Je joue mes propres morceaux, je place la langue, je joue les octaves... des trucs à moi, et toujours dans les tonalités qui m’arrangent de toute façon.

Thibault, le bassiste… … qui joue avec moi, est aussi l’un des meilleurs harmonicistes de blues que je connaisse. Quand on l’a recruté pour tenir la basse, il était encore lycéen. On l’attendait dans la voiture, à la grille du bahut. Tous les lundis, l’Utopia organisait un spécial harmonica. J’ai fini par y passer, histoire de souffler un coup. On devait montrer à des amateurs comment ça se joue. Thibault avait tout pigé très vite. À la fin de la séance, il est venu me trouver. J’aimerais bien prendre des cours. Non, j’en donne pas. D’ailleurs, tu n’en as pas besoin, tu te débrouilles très bien tout seul. Oui, mais il y a quelques trucs que j’aimerais bien me faire expliquer. OK, tu passes à la maison avec deux bières, ça ira bien. Mais je te préviens, ça me branche vrai-ment pas de donner des cours. Tu joues d’un instrument ? Ouais, de la contrebasse. Ben voi-là, dans deux mois tu es le contrebassiste des Tortilleurs, ça te va ? Quand t’entends quelqu’un jouer de l’harmo comme ça, à son âge, le gars, tu peux être sûr qu’il boulonne. C’est pas arrivé d’un seul coup. C’était l’époque où on jouait deux fois par semaine chez Disney. C’est simple, tu viens voir ce qu’on fait. Deux fois par semaine. Dans deux mois, ton premier gig, il est là. Enfin, bon, tout ça pour dire que Thibault, c’est un har-moniciste de première.

J’ai mes lubies pour amener les chansons sur scène. Le bassiste fait l’intro, tout seul, et moi à l’harmo. Je chante avec la contrebasse en soutien. La batterie et la guitare n’entrent pratique-ment qu’au troisième couplet, et la guitare en dernier. Un soir j’ai dû commencer le gig tout seul, je me souviens plus. Un machin qui clochait sur la batterie sûrement. Je les ai pas atten-dus, j’ai attaqué le morceau. C’était parfait. Et puis ça m’amusait de chanter avec la contre-basse. On est tellement habitués à jouer ensemble… L’urgence, l’écoute, tout ça quoi. Et voi-là.

Lent ou bien rapide, Dixiefrog / MSI 1997

BBB : chant, harmonica et guitare Stan Noubard Pacha : guitare Fabrice Millerioux : batterie et percussions Thibault Chopin : basse et contrebasse Franck Goldwasser : guitare, basse et chœurs Coco Ardenuy : chœurs

Dixiefrog m’a proposé d’enregistrer l’album. Lent ou Rapide sort en 97 sur Dixiefrog/MSI, mais tu as aussi Voodoo Records et Métisse. C’est très compliqué toutes ces appellations. Dixiefrog, c’est le label. MSI, c’est le distributeur. Voodoo Records, c’est le label d’Alain Rivet au sein de Dixiefrog, d’accord ? Dixiefrog est dirigée par Alain Langlois.C’est une mai-son de disques française qui fait surtout du disque américain. Ils n’avaient pas de maison d’édition. C’est idiot, je leur dis. Avec les morceaux que je vous amène, vous avez de quoi la monter. Maintenant ils l’ont, c’est Métisse… et ils prennent du blé avec la Sacem.

Quand je leur ai dit que je voulais intituler l’album Lent ou rapide, ils ont eu l’idée de symbo-liser ça par un bolide et un escargot. Lent ou rapide… on n’a pas les même notions de la vi-tesse apparemment ! Tu sais, les gars qui conçoivent les pochettes dans les maisons de dis-ques, si c’étaient des lumières, ils exerceraient un autre métier ! Quand ils ont su que l’album allait s’appeler Lent ou rapide… C’est extraordinaire ! Mais quelle bonne idée ! Nous allons alterner les morceaux lents et les morceaux rapides ! Et le mec qui devait bricoler la po-chette : J’ai trouvé une idée géniale, une voiture de sport et un escargot ! J’ai pas choisi la photo de couve mais j’aime beaucoup celles qui figurent à l’intérieur. Elles ont été shootées par un copain de Thibault. Sans déconnner, c’est l’un des meilleurs photo-graphes que j’aie rencontrés. Lui est persuadé qu’il ne vaut rien et, comme il croit qu’il joue très bien de la guitare, il a laissé tomber la photo pour entrer dans le groupe de Thibault. Broussard, le gars qui a réalisé la pochette, voulait prendre une pro pour faire la couverture, et il a embauché une pro.

Du West Side sans les cuivres… … Lent ou rapide ? Tiens ? Non. Le West Side, j’ai jamais été fan. Vraiment un truc de guita-riste. Pour moi, le vrai West Side est cheap : les gamins de Chicago en ont par-dessus la tête de Muddy, ils voudraient faire comme BB King mais ils manquent de moyens… Mais c’est vrai qu’il y a pas mal de guitare sur cet album, et beaucoup plus d’harmonica que sur les au-tres.

Mets des gants. Non, non, c’est pas une chanson réac du tout ! D’accord, placée juste avant Barge et sans loi, on pourrait croire que j’exprime un message. Arrêtez de gémir tout le temps, regardez Sarajevo ! Il se passe dans le monde des événements plus graves que vos petits sou-cis ! Mais c’est pas du tout ça. Pas besoin de lire entre les lignes, c’est pas le genre de la mai-son. Cette chanson a vraiment touché les gens. Une copine m’a dit : J’ai pas pu l’écouter jus-qu’au bout, je me suis tout de suite mise à pleurer. Elle était dans une drôle de panade à ce moment-là. Trois jours plus tard je tombe sur un mec, il s’était fait lourder de son boulot. Putain, j’ai écouté ta chanson toute la nuit. Je déprimais sévère. Le lendemain, je me sentais beaucoup mieux. Je te jure que le texte n’est pas ironique. Si t’as mal aux mains, mets des gants. Te laisse pas aller, quoi. C’est pas plus compliqué.

On peut plus en trouver par contre, c’est un jeu. De quoi je cause ? On ne sait pas de quoi je cause. Typique rock’n’roll cajun : une musique de bar avec des riffs. Il faut absolument que les gens s’en souviennent parce que… on peut plus en trouver ! Trop Difficile met en scène un mec au chômedu. Le malaise social du moment sans doute. En principe, chanter les problèmes sociaux du moment, c’est pas vraiment mon truc mais t’as un avantage : ça parle à tout le monde. Même et surtout quand t’es musicien. En France, le blues a toujours été le smicard du rock. Je me demande si c’est pas Little Bob qui m’avait sorti cette formule un jour. Et il avait mis pile le doigt dessus. Mon bilan général du monde entier (rires) depuis que le Mur est tombé, il est pas tout rose, tout rose. Et de moins en moins. Personne ne sait où on va. Les dirigeants cherchent des repè-res mais, à l’évidence, ça ne s’arrange guère. Je vivais en Inde pendant la guerre d’Irak. Les Indiens, la guerre d’Irak, ils s’en cognaient royalement, ils ont d’autres problèmes. Le plus petit incident entre musulmans et hindous mobilise tout de suite des foules entières. L’année dernière les ultra-nationalistes ont brûlé des musulmans dans les trains. L’Inde c’est cool ? Ouais, sauf du côté de la religion.

Le Crick Au lieu d’utiliser un ampli classique, tu utilises un leslie, voilà ce que c’est qu’une guitare leslie. Le leslie, c’est l’ampli de l’orgue Hammond : un gros haut-parleur et deux pales qui tournent comme un ventilateur. C’est la vitesse de rotation qui fait Voum ! Voum ! et c’est l’effet tournant que tu peux entendre sur les orgues. Mais attention, le leslie est un ampli pas une pédale. Je m’en sers parfois pour les guitares. Parfois sur l’harmo. J’ai passé l’harmo à travers un leslie dans Cricketer’s (l’instrumental de Lent ou Rapide). D’où ce vibrato hyper-rapide et tournant. Tout le monde joue avec un ampli, West Coast, Piazza, machin, imitation George Smith. L’ampli te donne un son énorme. Je l’utilise rarement. Sur Cricketer’s, bon, ça m’a amusé trente secondes. Le Cricketer’s a fermé il y a trois ou quatre ans. C’était un club de Bordeaux… magnifique. Toutes les affiches du New Morning, tu les retrouvais au Crick le lendemain. Sauf que le Crick était mieux que le New Morning, avec ses loges immenses. Il ne fermait jamais, même pas la nuit. Chaque semaine quatre à cinq concerts étaient programmés, c’est énorme. Le tau-lier, Philippe Combe, était un mec vraiment sympa qui m’a accompagné enregistrer au Texas. Tellement sympa qu’il a pas su tenir son club, c’est à dire en faire une entreprise. Enfin, j’exagère parce que, durer dix ans au rythme de trois, quatre concerts par semaine (et pas le groupe local que tu raques 3 francs, 6 sous), c’est quand même une sacrée performance, non ? J’y suis passé un paquet de fois au Crick, et c’est là que j’ai rencontré les Mexicains avec qui j’ai enregistré mon dernier album. Quand je savais qu’ils se produisaient au Crick, un coup de bigo et on allait y prendre un verre. En débarquant à Austin, je connaissais déjà les trois quarts du groupe, on avait joué ensemble dans les mêmes soirées.

Lent ou rapide a bien marché. L’album est sorti en même temps qu’un tas de canards spécialisé dans le blues. Il a été hyper bien chroniqué et hyper bien reçu par la critique. Les jeunes qui ignoraient mon existence, ou pas loin, ont découvert cet album et ont dû se dire : Hu ! du vrai blues, pas une imitation de Machin. Ça m’a permis de rester Benoît Blue Boy et de gagner définitivement le respect des musiciens qui faisaient vraiment du blues.

Benoît Blue Boy en Amérique, Frémeaux / La Lichère 2001

BBB : chant et harmonica Unk John Turner : batterie Duke Anthony : batterie Hector Watt : guitare Randy Garibay : guitare Mark Goodwin : piano et orgue Pierre Pellegrin : basse JJ. Barrera : basse Jack Barber : basse Don Leady : guitare et accordéon Eraclo Morales : saxophone ténor Adalberto Gomez Jr : trompette

Austin était devenue une ville de blues parce que les frères Vaughan y habitaient, qu’ils y ont créé une scène, mais durant les années 70 Austin était surtout la ville des country-rebels. C’est de là que sont issus Willie Nelson et Calvin Russel. L’Oncle, Fergusson étaient de Dallas et de Houston. Chez eux ils ne pouvaient pas pratiquer la musique qu’ils aimaient. En débar-quant à Austin ils ont découvert une ville estudiantine grouillant de petits bars. Toutes les universités se trouvent ici, c’est la capitale du Texas.

J’aime que l’harmonica soit nu L’instrumental Chez nous, on l’a enregistré à la dernière minute. Tiens, je me ferais bien un petit instrumental. Shuffle ré. Je branche le micro direct dans la console. Un, deux, trois, qua-tre, c’est parti. Tu trouves que ça fait musette ? Tiens donc… Pourtant c’est le vrai son du chromatique quand il ne sort pas de l’ampli façon West Coast, George Smith. Je veux pas d’ampli ni d’effets. J’aime que l’harmonica soit nu. Cette impression musette que tu ressens doit venir du vibrato. Dans le temps l’harmonica était considéré comme l’accordéon des pauvres. (L’accordéon était déjà décrit comme le piano des pauvres… L’harmonica, c’est le piano des super pauvres alors ?) Quand ils débarquaient en Louisiane, les Français n’avaient que ces petits harmos allemands à se mettre sous la dent. Ils soufflaient en essayant d’imiter l’accordéon. Leurs harmos étaient différents, ils étaient faits pour être joués en accords, quatre trous à la fois, ce qui déclenchait comme un vibrato intérieur. Voilà d’où pourrait venir ce vibrato musette. Je te préviens, c’est un gros merdier à jouer.

Pierre Pellerin, l’un des bassistes avec qui j’ai enregistré ce disque, est un pote français. Je l’ai toujours connu. Il s’est installé à Austin au milieu des années 80. Son frangin a monté LE restaurant français du Texas, Chez Nous. Un endroit tout petit mais magnifique, bourré tous les soirs. Enfin, avec ce qui se passe en ce moment, je jurerais pas que c’est toujours le cas !

C’est vrai que je grave pas beaucoup de reprises… … Et comme je tiens à chanter français, je vois pas bien quelle reprise je pourrais faire. Chanter un blues en anglais n’a aucun sens pour moi. Il y a bien Tu parles trop sur le premier disque. Un vieux truc New Orleans qu’avaient repris les Chaussettes Noires. Sur le dernier album, c’est vrai, il y a Blues en la noche. Je voulais faire une chanson en espagnol et Randy a choisi cette reprise pour la chanter avec moi. Dans BBB en Amérique, j’ai repris deux de mes anciens titres, Tous les Jours et Sale boulot. Celle-là, je l’avais d’abord écrite pour Stevie (Verbeke). Mais toutes les autres chansons, c’est du neuf. On m’a comparé parfois à Boris Vian… Je pense que c’est mon côté titi parisien. Sur Hey ! toi, on dirait que je cherche à imiter quelqu’un, mais ça n’est pas le cas. En vrai, j’aime bien chanter de cette façon, avec une gouaille de voyou. Le type bien saoul qui peut plus ouvrir la bouche et qui chante avec le nez. J’évite pourtant de chanter comme ça trop souvent. Cette élocution de titi parisien rappelle la façon de chanter de Renaud, un peu trop chanson fran-çaise sur les bords, et c’est pas l’image que j’ai envie de donner.

Les titres en exergue sur la jaquette, je sais pas. Pour faire années 60 ? Ma foi, sûrement. Une idée de Frémeaux en tout cas. Ils voulaient remixer une chanson. Si on me dit : Voilà, quel-qu’un va se charger de la remixer, je réponds : Non, ça on peut pas. Mais si on me demande : Tu veux pas remixer un ou deux titres ? Je peux pas les proposer en radio avec un son pareil. Là, oui : Bien sûr, c’est toi qui vois. Si ça te facilite le boulot, on y va. Je m’en fous, j’ai passé trois jours à Bordeaux, tranquille ! Pareil pour les pochettes, tant qu’elles ne modifient pas l’esprit du disque… Vas-y, fais-la ta pochette ! Du moment que c’est pas une horreur, si tu penses que ce sera plus facile pour ton représentant de commerce de démarcher cette pochette là plutôt que l’autre… Au contraire, j’aime bien quand la maison de disques a envie de quelque chose et qu’elle me fait des propo-sitions.

Juste un harmoniciste de blues

J’aime entendre ceux qui jouent du blues… … et qui continuent à en jouer envers et contre tout. Et je garde volontiers le contact avec mes anciens musiciens, je suis toujours ravi de les revoir. Vivre cinq ans sur la route avec des mecs, ça crée des liens. Si je suis régulièrement amené à changer de groupe, c’est uniquement pour des raisons techniques, pour éviter de recommencer toujours les mêmes plans. À un moment tu n’y coupes pas, il faut mettre les compteurs à zéro et jouer d’une autre manière. Mais je m’engueule jamais avec personne et personne m’engueule non plus. Personne n’élève la voix, ni durant le gig ni après. C’est une fois qu’on a regagné l’hôtel qu’on discute. Entre le moment où t’as merdé sur scène et le moment où tu rentres à l’hôtel, cinq bonnes heures se sont écoulées. Il est trop tard pour se mettre à gueuler, ou alors ça sent le split. Sérieux, jamais de la vie j’engueule un musicien. S’il se plante sur scène, c’est de ma faute. J’avais qu’à ré-péter. Ou j’ai pas chanté au bon moment et je les ai fourrés dans le pétrin. Si on avait répété trois jours avant de monter sur scène, là, ouais.

L’Inde… … tu peux en sortir deux, trois idées, deux, trois situations pour étoffer tes chansons. Mais la musique indienne, ouh là là ! c’est beaucoup trop compliqué pour pouvoir y être admis. Tech-niquement, tu navigues dans la quatrième dimension. J’ai joué une ou deux fois là-bas, mais je me contentais surtout d’observer. Ouais, deux ou trois trucs pour les gosses dans les écoles. Le blues ne les intéresse pas, mais voir un Européen souffler dans un harmonica les fait poi-ler. Quand t’es gosse, que ce soit ici ou là-bas, un harmo c’est toujours sympathique. Mais musicalement, l’Inde c’est pas possible. Tu me vois aller chercher un Indien pour faire du blues ? À quoi ça sert ? Je vais pas me convertir à la world music non plus, il y a suffi-samment de merdes en circulation comme ça ! Placer un coup de sitar dans un blues, Jeff Beck l’a déjà fait, les Beatles l’ont déjà fait et les Rolling Stones ont enregistré de très mau-vaises chansons en les accablant de coups de sitar. Bon, Paint it black. Mais une fois, ça va.

Jean-Jacques Bill (Deraime), je l’aime beaucoup mais j’ai moins d’accointances avec lui qu’avec Patrick et Paul Personne. Jean-Jacques (Milteau), c’est pareil. Je le connais mal. Il a été longtemps branché country et, à l’époque, ça me disait rien du tout. On n’a pas beaucoup de rapports, on ne fait pas du tout la même chose. Jean-Jacques défend l’harmonica, et le défend vraiment bien, mais moi l’harmo, je m’en fous au fond. Je ne me considère pas comme un harmoniciste d’ailleurs. Je suis juste un harmoniciste de blues.

Question harmo, Jean-Jacques est certainement l’un des meilleurs techniciens au monde, un travailleur incroyable, tout ce que tu voudras, mais il ne joue pas du blues. Greg (Szlapczyns-ki) n’est pas non plus un harmoniciste de blues à mon avis. Lui aussi, super harmoniciste, remarquable prof, hyper fort là dessus et très gentil. Greg ou Jean-Jacques, je comprends qu’ils soient branchés harmo… mais ils sont quasiment représentants chez Hohner. C’est leur métier. Mais moi je joue du blues, c’est mon truc et ça va pas chercher plus loin. Je vais pas me faire chier à apprendre autre chose, j’ai pas le temps. Pourquoi j’irais apprendre des trucs que je ne veux pas intégrer dans mon jeu ? Tu te fais suer à apprendre un truc et, automatiquement, tu l’acquiers. Après tu dois te faire autant suer pour le virer de ton jeu. Maintenant si j’entends un harmoniciste de jazz jouer une superbe phrase, je peux toujours essayer de l’apprendre, mais je resterai centré sur la partie qui m’intéresse et que je pourrai m’approprier sans abâtar-dir mon style.

Hugo Diaz En dehors du blues, tu as des Argentins qui jouent la musique de leur pays à l’harmo. Ça fait peur tellement ils jouent bien. EUX, ce sont des harmonicistes. Ils se sont spécialisés dans un folklore. Bon, il y a quelques harmonicistes dans la country (pas tant que ça). Il y en a aussi chez les Irlandais. J’ai entendu des Italiens jouer des tarentelles dans les bals, tout seuls de-vant leur micro. Ils te mettaient le feu pendant des heures. Dans le jazz on trouve également des harmonicistes. Il y a tous ces mecs qui sortent de l’école de Toots Thielmans. Je peux pas dire que j’écoute beaucoup ça et, cependant, Toots, je l’admire. Il ne sait pas lire la musique mais il a un sens de la mélodie monstrueux. Il enchaîne des suites d’accords d’une manière hyper naturelle. Il est asthmatique mais t’entends jamais l’effort chez lui. Pour cette raison il ne peut pas attaquer très fort, mais quel sens de la mélodie ! Impressionnant.

Celui qui m’a le plus impressionné, c’est Hugo Diaz. Un Indien argentin qui est mort depuis quelques années. Il utilisait l’harmo comme une flûte de Pan. Il jouait chromatique, chantait dedans en même temps qu’il jouait, soufflait avec le bouton à moitié appuyé, faisait des phra-ses… Je-ne comprends pas ! Tu as le sentiment d’entendre trois harmonicistes jouer en même temps. Diaz faisait du folklore, des polkas, de la musique argentine, du jazz mélangé à des styles indiens. Hugo Diaz, j’en connais que des bouts de bandes, mais j’ai rencontré un accor-déoniste argentin qui m’en a parlé. Raoul Barboza joue du chamamé, la musique des monta-gnes des Indiens d’Argentine. Magnifique. Raoul vit et se produit en France. C’est lui qui m’a expliqué comment Diaz s’y prenait. Il avait une bouche énorme et… il est mort alcoolique.

Honneurs Parlez-vous français, disque d’or. Meilleur album de blues de l’année 90 aussi. Je me de-mande bien quel canard a décrété ça. Tu sais, moi, les médailles… Quand j’ai réalisé un bon album, pas besoin qu’on me le signale, je m’en rends bien compte tout seul. J’ai assez sué pour que ça marche et je fais ce métier depuis tellement d’années maintenant… Le dernier disque par exemple. Quel Français aura les couilles de partir enregistrer à Austin, quinze blues en français et pendant quinze jours ? Et avec des Mexicains en plus ! Album de blues de l’année ? Soit. Normal que les mecs me filent ce prix : des albums en compétition, il n’y en avait pas d’autres ! Les Doo the Doo se sont cassé la gueule avec leur maison de dis-ques, on n’a pas pu entendre leur album. Personne d’autre n’en a sorti à l’époque. Sinon ça va, j’en suis content, hein ? Ça fait plaisir à tout le monde, les musiciens, La Lichère. Et puis tu ne m’interviewerais pas non plus si ça se trouve. Tant mieux mais, au fond, tout ça n’a pas grande importance.

Spécial ? … … Je suis spécial ? J’ai toujours été comme ça. Avec ma dyslexie, tout gamin je me suis co-gné à tout un tas d’obstacles. Si j’étais resté là à ne rien faire, on m’aurait mis dans un hôpital psychiatrique. Je pouvais pas entrer dans une vie pré-organisée, et j’ai dû faire des choix très tôt. C’est ainsi qu’on finit par souffler dans un harmonica et par chanter du blues en français. Mais encore une fois, je ne fais que défendre MES CHOIX. Si je me plante, j’assume. Si on me file un prix, super, tant mieux, ça va pas plus loin. Ne te méprends pas sur mon orgueil. Je peux pas me prendre pour une star avec ce système de pensée, je suis obligé de rester humble. Car finalement, qu’est-ce que j’ai fait d’extraordinaire ? j’ai seulement fait ce que j’ai pu avec mes handicaps. Et puis je suis parti en Inde. T’as du boulot là-bas ? Ça marche, on y va. L’Inde m’a pas empêché de revenir, de faire quinze jours de tournée avec les mecs du Texas, de travailler tout l’été, d’avoir encore du pain sur la planche à la rentrée, ni de partir me réinstaller à Marrakech. Un jour Paulo m’a dit : Tu es le seul d’entre nous qui n’as jamais fourré ses pieds dans une paire de pantoufles !

Benoît Billot et Christian Casoni Jeudi 29 mai 2003

Merci à Steve Verbeke d’avoir contribué à l’iconographie en nous prêtant certaines pochettes introuvables de l’oeuvre de Benoît Blue Boy

Photos de l’interview et concert à la salle Dunois (1990) : Patrice Dalmagne Photos des concerts de Bagneux (décembre 2000) et de Cognac (juillet 2001) : Patrick Guillemin

Pour en savoir plus :


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